[Marseille] A FLUCTIBUS OPES.

Port de Marseille, Comté de Provence, 2 Février 1455, 10h16.

Le port de Marseille, lieu qui ne connait jamais le repos à la lueur de la lune opaline. Sans cesses des hommes vont et viennent en tout sens, la plupart simple manoeuvre ou milicien et une petite minorité de nobliaux... L'activité y est telle que la notion du temps semble s'être perdue dans les méandres des ruelles étroites et des tavernes malfamées. On y négocie les prix de marchandises en provenance de toute la méditerranée et de contrées lointaines que peu ont put admirer ; des voyageurs y débarquent à chaque moment de la journée et de la nuit ; on y assassine ; on y truande ; on y prie...
C'est dans un tel vacarme de palabres humaines que Turmac débarqua en France après un séjour de quelques mois à Malte au sein de ce qui restait de l'Ordre des Chevaliers de l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem.

Le voyage n'avait pas été des plus agréables, une tempête avait faillit entraîner par le fond le bateau sur lequel le prêtre-soldat naviguait et les vivres et rations d'eau douce avaient commencé à manquer quelques jours avant l'arrivée au port.
Malgré cela, Turmac était heureux de retrouver la terre ferme ; il n'avait jamais vraiment supporté les voyages en mer de par le côté hasardeux qu'ils comportaient. En effet, même si les marins parvenaient à éviter les récifs et la majorité des tempêtes, nul n'était à l'abri d'un revers de fortune qui aurait mis fin à sa vie.
Turmac devait retourner à Cluny, l'abbaye à laquelle il était affecté depuis quelques années déjà. En clair, cela signifiait traverser le Languedoc ou le Dauphiné pour ensuite passer par le Comté de Forez pour enfin pénétrer dans le Duché de Bourgogne, le tout sans escorte. Toutefois, il pouvait faire une halte dans le Comtat Venaissin où il avait quelques amis...

Mais pour l'heure, il lui fallait prendre un peu de repos. La bourse dont il disposait n'était guère remplie et il n'aurait certainement pas le luxe de se payer une auberge du centre-ville ; l'abbaye la plus proche était à plusieurs lieux de là et ses contentieux avec l'archevêque de Marseille ne lui permettait pas de demander l'hospitalité à quelque institution religieuse de la ville...
Plus qu'une solution en somme, trouver une paillasse et un repas à des prix abordable dans l'une des villes les plus marchandes du royaume de France... Autant chercher à faire se refléter un vampire dans un miroir.
Il n'était pas encore midi et cela lui laissait du temps pour aller dans les diverses auberges et tavernes afin d'en trouver une à sa convenance.

"Seigneur, cette petite mise à l'épreuve est un peu mesquine vous ne trouvez pas ?"

Puis après avoir réajusté son équipement, il se mit à arpenter les rues à la recherche de son bonheur, qui serait des plus relatifs.
Quelques heures plus tard, il trouva une auberge ne paraissant pas trop crasseuse et décida de s'y installer pour la journée. Il somma l'aubergiste de lui fournir une chambre et d'y monter ses affaires et alla s'attabler à quelques enjambés du comptoir... Il ne fallut pas longtemps pour qu'un homme aux allures de filou vint s'asseoir à côté de Turmac qui ne prêta guère attention au larron qui empestait le vin bon marché et le purin.

- Monseigneur, c'est une bien belle lame que vous avez là.
- En effet, cette lame m'est très attachée, je ne la quitte jamais mon bon.
- Et, si je puis me permettre, qu'est-ce qu'un chevalier tel que vous fait en ces lieux ?
- Je ne suis pas chevalier, je suis moine.
- Mais les moines ne portent pas d'armes...
- Je fais partie des Chevaliers de l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem si cela peut éclairer ta lanterne.
- Ah... Vous êtes un descendant de croisé et vous châtier les infidèles ?
- Pas seulement, j'essaye de châtier les créatures du malin qui pervertissent ce monde et égarent d'avantage les brebis de Dieu. Je tente également d'aider mon prochain du mieux que je peux.
- Fort bien messire mais...
- Il suffit ! Ma bourse ne t'intéresses en rien. Tu ferais mieux de ne plus tenter de voler ton prochain sous peine de subir la justice divine du Tout Puissant.
- Quoi ?

En un instant, l'homme s'était retrouvé à terre, la lame de Turmac le menaçant. Décidément, les pécheurs ne reculaient devant rien... Il aurait pu tuer cet impudent, il aurait été dans son droit, mais il n'en fit rien. Se contentant de le tenir en respect.

- Pitié votre seigneurie...
- Silence ! Penses-tu que ton attitude fasse honneur à ta maison ?
- Vous avez raison, mais ne me tuez pas par pitié...
- Donne moi ne serait-ce qu'une bonne raison de ne pas t'envoyer devant l'Eternel afin qu'il juge tes fautes.
- Je peux vous mener à une créature de Satan.
- Ah vraiment ? Et pourquoi te croirais-je ?
- Parce que je travaille pour cette créature...
- Comment ?! Tu pactises avec le Diable !
- Non !!! Il nous force à travailler pour lui afin de satisfaire ses désirs sous peine de nous envoyer de vie à trépas.
- Soit, mène moi à ce soi-disant suppôt de Satan et je déciderai de ton sort.

L'homme se releva et entraîna Turmac dans une série de ruelles étroites jusqu'à arriver devant une porte de bois semblant mener à un long couloir descendant dans les profondeurs de la terre...

- Passe devant.
- Quoi ?
- Tu m'as très bien entendu.
- Mais pourquoi ?
- Qu'est-ce qui me prouve que tu ne tentes pas de te jouer de moi...
- Mais...
- Avance.

La porte s'ouvrit dans un grincement de métal et de bois et Turmac emboîta le pas au truand qui ne semblait pas des plus rassurés. La torche que tenait le nouvel obligé de Turmac n'éclairait que partiellement le couloir qui débouchait sur l'escalier glissant... Un léger bruit de cours d'eau semblait venir des profondeurs ; et cela n'était guère des plus rassurants.
En réalité, l'odeur, l'atmosphère ambiante ainsi que le bruit indiquaient que Turmac s'enfonçait dans les égouts de la ville.
Ca s'annonçait plus compliqué que prévu en fait ; les égouts étaient un endroit dangereux car le nombre de portes de sortie en cas de rencontre désavantageuses... Mais maintenant qu'il était là, Turmac ne pouvait plus reculer.
Il saisit son chapelet et commença à le serrer dans sa main droite en récitant une prière sans cesser de surveiller le couard qui le devançait.

- Nous y sommes presque...

L'homme tremblait comme une feuille, mais Turmac n'arrivait pas à déterminer pourquoi... Etait-ce parce que la réaction de la-dite créature serait des plus impressionnantes ou parce qu'une lame était susceptible de se planter dans son dos au moindre geste suspect ?
Au détour d'une galerie bordée par un canal puant, Turmac pu apercevoir de la lumière émanant de ce qui semblait être une espèce de salle souterraine abandonnée. Sur la cinquantaine de mètres qui séparait le virage de la porte gisaient ça et là des squelettes et des restes de cadavres plus ou moins putréfiés...
Lorsqu'il fut à quelques enjambées de la porte, Turmac pu entendre des rires et des bruits de verres s'entrechoquant ; il pu également humer le parfum de nourriture grillant sur le feu...

- Merci, tu m'as bien servi.
- Outch...

Par un coup de pommeau bien placé, Turmac avait assommé son guide de fortune.
Il glissa un oeil par le trou de la serrure de la porte afin de mieux juger de ce qui se passait à l'intérieur... Un spectacle des plus grotesque en réalité : deux catins entouraient un homme d'âge moyen qui brandissait son verre en hurlant des insanités. La pièce quand à elle présentait nombres d'objets de luxe et un faste que seul un noble aurait pu s'accorder...

- Allez mes chéries, enlevez moi ces nippes, que l'on s'amuse un peu !

Les deux prostituées s'exécutèrent, sans comprendre ce qui les attendait... Elle dévoilèrent bientôt leurs corps nus et s'allongèrent aux côté de l'homme qui semblait ravi.
Les baisers et les caresses commencèrent à s'entremêler dans une danse emplie de sensualité et de luxure. Les gestes de l'homme se faisaient de plus en plus pressants et lorsqu'il empoigna l'une des deux jeunes femmes par le cou, la plaquant contre une tenture, Turmac pu enfin comprendre la véritable nature de l'être qui habitait ces lieux...
Un vampire. L'épée au poing, Turmac fracassa la porte d'un violent coup de pied et brandissant son chapelet hurla à travers la pièce :

- Arrière démon !!! Lâche cette femme et prépare toi à connaître les flammes de l'enfer !!!

Le vampire lâcha la donzelle qui s'écroula sur le sol, haletante, et se retourna vers le moine-soldat. Manifestement, il était assez puissant pour ne pas être trop incommodé par la vue d'un symbole sacré... Ca n'allait pas être des plus faciles.

L'âpreté et l'ardeur du combat... Rien au monde ne grisait et ne répugnait Turmac à ce point.
Frapper de toute ses forces sur un adversaire afin de lui faire rendre l'âme, il n'y avait rien de plus primaire, de plus bestiale en la nature de l'homme. Mais renvoyer des créature de Satan en enfer, c'était un devoir auquel le moine hospitalier s'adonnait avec plaisir.
Dans le cas présent, Turmac n'allait en aucun cas ménager son adversaire... Premièrement parce que c'était une engeance du démon et secondement, parce que les vampires pouvaient user de magie et que les prêtres n'étaient pas de taille à lutter contre cette magie démoniaque.

Aux vues du peu d'espace dont il disposait pour occire son adversaire, le moine-soldat adopta la garde dite de la Dent du Sanglier. Pied droit en avant, vers son adversaire, le pied gauche quasiment à angle droit par rapport au pied droit ; main droite en supination sous la ceinture, main gauche en pronation à la ceinture... Lame dirigée vers le bas, effleurant légèrement le sol.

Prêt à lancer son assaut, Turmac serra la fusée de son épée, prit appui sur sa jambe arrière et s'élança en hurlant sur le vampire qui venait de dégainer son fauchon. Premier moulinet de bras, premier tintement de lames... Le bruit strident des deux armes s'entrechoquant sonna bientôt comme une symphonie chaotique dans les égouts de la ville portuaire.
Parant de dextre et de sénestre, le vampire ne laissa pas toucher une seule fois par le moine-soldat qui redoubla de rage afin d'éliminer cet ennemis de Dieu. La facilité déconcertante avec laquelle l'hominus nocturni parait les assauts de Turmac fit que ce dernier se retrouva vite dans la position de défenseur. En effet, le vampire avait réussi à esquiver suffisamment bien afin de se retrouver entre l'hospitalier et la porte, ce qui coupait à Turmac toute possibilité de retraite.

- Abandonnes... Tu ne peux rien contre moi.
- Je n'abandonnerai pas face à un démon tel que toi.
- Comme tu voudras pauvre fou.

Sur ce, le vampire se jeta sur Turmac ; d'un coup de taille, il désarma le moine-soldat, envoyant l'épée batarde de ce dernier. Puis, avec une vitesse ahurissante, il saisit l'hospitalier à la gorge et le souleva de terre...

- Tu vas mourir.
- Vas te faire foutre...
- Meurt YARRRRGGGGHHHH !!!!

Turmac avait saisi le chapelet qu'il avait attacher à la ceinture et avait plaqué la Sainte Croix qui l'ornait sur le front du vampire qui commença à ressentir une vive sensation de brulure... Il lâcha Turmac qui, tombant au sol, attrapa le fléau d'arme qui pendait à sa ceinture. D'un mouvement ample, il frappa son adversaire à la tête, dégageant une partie du cerveau du vampire qui se tordait encore de douleur... Se relevant d'un bond, il propulsa son adversaire au sol et saisissant son bouclier qui était fixé dans son dos, frappa le démon à la gorge, écrasant la trachée, l'œsophage, les vertèbres, la jugulaire... Bref, une semi décapitation.

- Je pense que c'est toi qui va quitter ce monde...
- Gargl...
- In nomine patris et filii et spiritus sancti.

S'agenouillant à côté du monstre, Turmac enfonça le manche de son fléau d'arme dans le coeur du vampire.
Se signant, l'hospitalier prépara le repère du vampire afin d'y mettre le feu et sortit. Jetant un oeil au cadavre de l'hominus nocturni, il jeta une torche sur les morceaux de meubles et s'en alla... Le larron qui l'avait conduit jusqu'ici avait disparu, sans doute s'était-il enfui dès qu'il avait repris connaissance.

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