Abbaye de Cluny, aile nord, 5h38, 15 novembre 1455.
Une cellule vide... Enfin, pas tout à fait... Un lit, un prieuré, une chaise, une assiette, une cuillère et une carafe d'eau.
Autour de la chaise et sur cette dernière, un haubert, un heaume, un bouclier et une tunique noire marquée d'une croix blanche, une épée longue, un sac de voyage rempli, une sacoche et un fléau d'arme. A côté du prieuré, une pile de livres...
Ce n'est pas grand chose, mais la vie d'un moine est ainsi faite ; en réalité, c'était plus que ce que la majorité des moines possédait, mais Turmac ne s'en plaignait guère...
Il avait appris au fil des années qu'il valait mieux se contenter de ce que l'on avait et s'en réjouir plutôt que d'envier inutilement ce que possédait son prochain. Les récits de la sixième croisade, à laquelle avait participé l'un de ses aïeux et qui s'étaient transmis de génération en génération dans sa famille ainsi que les divers écrits conservés par l'Ordre des Chevaliers de l'Hôpital de Saint-Jean de Jérusalem dont il faisait partie lui avait permis de comprendre qu'il n'y avait rien au monde de plus absurde que d'envier les possessions terrestres d'autrui.
" Seigneur, je ne suis pas digne de vous recevoir ; mais dites seulement une parole et je serai guéris."
La prière était terminée... Turmac enfila donc son équipement et sorti de sa cellule. L'Abbaye de Cluny était vraiment magnifique au petit matin. La neige recouvrait toute la cour intérieure, laissant ça et là quelques arbres dépourvus de feuilles... De la fumée s'échappait du réfectoire vers lequel Turmac se dirigea d'un pas alerte, le sourire aux lèvres ; il passa devant le crucifix central de la cours et s'arrêta un instant, contemplant le Christ en bois dont les bras et la tête étaient recouverts d'un blanc manteau...
" Seigneur, j'espère que vous ne ressentez pas ce que vos icônes subissent."
Puis il reprit sa route... Passant les portes du réfectoire où s'activaient déjà les frères Hugo et Nicolas, il s'installa à une table et attendit que ses confrères le servent. Il mangea un morceau de pain, une pomme et bu un peu d'eau...
Il demanda si son cheval était prêt et s'en fut vers l'écurie. Une fois sur place, il grimpa sur le dos de son Andalou noir comme le jais... Il avait fait l'acquisition de ce cheval lorsqu'il avait été adoubé par son père à l'âge de 14 ans et était rentré dans les Ordres un an plus tard car son grand frère héritait de toutes les possessions familiales et que lui même n'avait que faire de posséder un domaine de deux cent arpents, une quinzaine de famille et une poignée de soldats et de miliciens...
Les portes de l'abbaye s'ouvrirent, découvrant un paysage plus enneigé que jamais. Encore une mission qui annonçait de grandes réjouissances... La ville était à peine à un quart d'heure de cheval, mais Turmac préféra emprunter un chemin plus long pour ne pas avoir à rejoindre l'Inquisiteur Vincent trop vite. Passant par la forêt, il s'attarda un peu à rêver à Jérusalem, ville qu'il n'avait jamais vu que par les descriptions qu'on lui en avait faite...
Soudain, un bruit attira l'attention de l'Hospitalier ; derrière un bosquet, comme des cris.
Descendant de cheval, il saisit son fléau d'arme et son bouclier et marcha à pas assurés vers la source des bruits qui paraissaient de plus en plus suspects...