Bourg de Vannes

Le 11 mai 1455

La ville, enfin la ville... voilà ce que pensait Julien en apercevant pour la première fois les remparts de la cité Vannaise.

Cela faisait deux jours et autant de nuits qu'il voyageait sur le dos de son cheval, Colgris, et à cause du crachin venue de la côte, il n'avait pas pu une seule fois prendre un repas ou une nuit de sommeil convenable.

Combien de mois cela faisait-il qu'il se trouvait ici ? Enrôlé comme tant d'autres mercenaires afin d'assurer l'ordre dans les anciennes possessions anglaises. Il ne savait plus exactement... Un an ? plus ? Qu'importe personne n'attendait son retour.

Toutefois, la campagne était finie, on l'avait remercié, récompensé pour son travail et abandonné près de Plouharnel... Ces derniers mois il avait servi au fort surplombant l'isthme séparant le continent de la presqu'île de Quiberon.

Et maintenant il se retrouvait sans emploi et disposant d'un pécule assez généreux pour lui permettre de subsister encore quelque temps. C'est pour cela qu'il avait décidé de rejoindre Vannes. Il était sûr que, là-bas, il retrouverait du travail et puis si quelque chose rodait la région il en entendra surement parler.

Arrivé à la porte Calmvent il fut interpeller par les gardes :

Hey l'étranger ! C'lui avec l'épée ! Ouai toi là-bas !

Qu'est' que tu viens faire là ? Et à quoi y t'saire tous ce matos-là ? fit l'un deux en pointant les lames pendant au ceinturon du mercenaire.

Moi ? Et bien il y a deux jours on a décidé que j'étais plus très utile au fort de Sa Majéstée. Résultat je suis sans emploie et comme cette ville est la plus grosse à dix lieue à la ronde je me suis dit que je pourrais en retrouver ici. répondit calmement Julien.

Tss un mercenaire hein ?! Cause pas d'ennui sinon t'aura à faire avec nous. Et ici on a la fâcheuse tendance à avoir nos prisonniers qui disparaissent. Y parait même que l'Ankhou visite souvent nos geôle, hein michou ? compléta le garde en apostrophant son collègue situé de l'autre côté de la porte.

M'enfin vous pouvez passer...

Sur ces mots, Julien tira sur la bride de Colgris pour le faire avancer tout en lançant un mot de remerciement au garde.

Après quelque temps passé à chercher une auberge décente, Julien en trouva une à son goût. Il y prit une chambre et laissa son cheval au jeune palefrenier qui servait également de serveur à l'auberge nommée Pontduchateau, à cause de sa vue sur les douves nauséabondes du castel comtale.

Après avoir posé quelques affaires de piètre valeur et caché sa lance dans sa chambre, il redescendit dans la salle principale pour en apprendre un peu plus sur la ville...

Barnor était derrière son comptoir quand l'étranger redescendit de sa chambre. Il portait sur lui plus d'arme que de vêtement... Barnor se demanda d'ailleurs comment il avait pu passer les portes de la ville... Pff, de toute manière, ces gardes étaient tous des pourris... Plus aucune sécurité en ville... Avec toute ces disparitions en plus... On retrouvait régulièrement des corps exsangues ou déchiquetés dans certaines ruelles... C'était à cause de ces saletés d'étrangers que tout allez mal depuis quelques temps dans la ville...

Pendant qu'il ruminait ces pensés, l'étranger, dans un grand fracas de métal, s'approcha du bistrot.

"Salut, qu'est-ce que j'vous sert, demanda Barnor avec le moins d'animosité possible dans sa voix."

Un cidre chaud s'il vous plait... répondit Julien à l'aubergiste qui l'interpellait.

Après avoir jeté un regard circulaire à la salle, le mercenaire choisit de s'installer au comptoir. Si quelque chose se passait dans les environs le mieux placé pour le savoir serait l'aubergiste.

Déposant son arc, son carquois contre sa chaise et s'assit afin d'attendre sa commande.

Dites moi ça fait longtemps que vous vivez ici ?

"Un cidre chaud s'il vous plait... répondit l'homme en arme"

Bon ça allait, au moins il n'avait pas trop mauvais goût, çui-là... C'était pas comme le précédent qui ne jurais que par la bière... Ces étrangers, je vous jure...

Ben tiens, et lui ne montrait pas beaucoup de respect non plus, visiblement... A peine avait-il passé sa commande qu'il ne se souciait déjà plus du tavernier et qu'il observait la salle... Il aurait peur d'être attaqué en plus ? On ne pouvait vraiment pas faire confiance à ces étrangers...

Il dut reprendre cet avis... En effet, à peine l'étranger avait-il finit son petit tour de la salle qu'il s'assit face à lui et lui adressa directement la parole :

"- Dites moi ça fait longtemps que vous vivez ici ? demanda-t-il brusquement.
- D'puis ma naissance, oui, répondit Barnor avec entrain."

Pffui ça a dû être pénible pendant la guerre ici non ?

Et puis même après ? C'est la même famille qui vivent dans ce château ou Sa Majesté en a nommé des nouveaux ?

Et puis ça a dû bouger pas mal avec les mercenaires comme moi, qui ont été engagés, et tous les soldats ? D'un autre côté ça a dû faire vos affaires ?
Avec le nombre de soldat qui battent la campagne ça doit être plutôt calme.
questionna le mercenaire.

La conversation était engagée, Barnor y prenait par avec plaisir... Et il devait revoir son opinion sur les étrangers... Finalement, il était sympa lui.

"Bah, v'savez, la guerre... C'était surtout au nord... Bon, c'est vrai, ils sont venu ici, mais ils y sont pas resté longtemps... A peine était-il arrivé qu'leur troupe ont commencé à mourir... Une épidémie, à s'quon m'a dit... C'que j'en pense, c'est qu'y en a eu qu'on réussi à en assassiner suffisamment pour leur faire peur. Ah, c'est qu'on s'laisse pas faire ici.

Pour c'qu'est des nobliau, j'm'y intéresse pas trop à toute leur merde... Le seul truc que j'ai entendu bougé ces derniers temps, c'est qu'le duc s'est r'marié. Sa première femme était morte quand ces saletés d'Anglais sont v'nu. Mai sitôt qu'ils étaient r'parti, paf, le voilà qui s'marie à nouveau... On sait pas pourquoi par ici... C'est une parfaite inconnue.. Moi j'dis, à tout les coups, elle l'a enchanté... J'vois pas comment c'est possible autrement... Et puis, c'est d'puis qu'elle est arrivé qu'ça va mal en ville...

Et... C'était quoi votre dernière question ? Arrêtez d'en poser plein à la suite comme ça... C'est dur répondre à tout..."

Désolé, heu... Monsieur. Il m'arrive parfois de ne pas pouvoir tenir ma langue, et dans ces cas là, je suis pire qu'une pie. bafouilla le mercenaire.



Mais vous dites que tout va de mal en pis ? Je n'ais pourtant pas remarqué de souci flagrant en arrivant. La ville à l'air entretenue, gardée et plutôt prospère, non ? reprit Julien après une rasade de cidre.

Barnor fut pris d'un fou rire à la dernière phrase de l'étranger... Quand il se reprit, il parvint à dire :

"La garde... Vous croyez qu'ce ramassis d'pourris va faire quelque chose ? D'vous à moi, pourvu qu'vous ayez assez d'pognon, vous pourriez faire brûler la ville qu'ils diraient rien. Alors quelques meurtres... J'vous dit, on est jamais mieux servis que par soi-même... Non, moi j'sais qu'y a des trucs louches. L'aut' jour, y avait un client habituel qui parlait à la table, là, juste derrière vous... Il disait qu'il avait trouvé un cadavre vidé de son sang... Ben croyez moi, y s'sont pas bougé la garde. Pauvre Jean... Quand j'lai pas vu d'la journée, j'ai su qu'il mieux d'la fermer... Mais moi, j'suis pas du genre à taire ces trucs... J'préfère vous parler à vous qui pouvez faire quèque chose, j'pense, plutôt qu'de regarder tranquillement la populace s'faire décaniller...

Pis, d'vous à moi, j'dois dire qu'j'ai r'marqué un truc : ces trucs bizarres ont commencé juste après qu'l'armée d'ces bâtards est partie... C'est pas bizarre ça ? Moi j'dis, l'mec qui les as buté un à un, l'est d'venu dingue et maint'nant, il tue tout tout c'qui bouge... Mais surtout, j'vous ait rien dit."

Sur ce, il fit un clin d'oeil à l'étranger et retourna astiquer ses verres comme si de rien n'était.

hum... Ce fut le seul son qui sortit des lèvres du mercenaire.

Cependant, sous cet aspect impassible l'esprit du guerrier s'était mit en marche...

Les mots de l'aubergiste résonnaient encore dans sa mémoire

Des meurtres... Des hommes vidés de leur sang... Un comte enchanté... Pas de doute, un vampire était présent, et il manipulait la magie en plus... Mais où se cachait-il ? Était-ce vraiment cette nouvelle comtesse ou seulement un allier ? Quelle magie a-t-il utilisé ? Est-il seul ou accompagné par des semblables ? Tel étaient les pensées de Julien.

Après quelques instants, il se leva, vida sa bolée d'une traite, déposa quelques pièces sur le comptoir et lança à l'aubergiste :

Je pars faire un tour ! J'ai quelques courses à faire...

Et, après avoir saisi ses affaires, il partit d'un pas rapide vers les bas quartiers de la ville.