[Paris] Les égouts

En provenance du Temple.

Zilmar attérit - ou plutôt s'écrasa - sur le sol des égouts dans un bruit sec. Il se releva douloureusement. Décidément, ce n'était pas au point. Mais bon, cela lui avait sans aucun doute sauvé la vie. Il n'allait donc pas se plaindre.

Zilmar se mit à réfléchir. Que faire désormais ? Il décida d'aller à sa planque, ensuite il improviserait. D'ailleurs, Roland serait sans-doute là-bas, il verrait tout cela avec lui.

En marchant, il continua ses réflexions. Sans doute qu'au Temple, ce serait un massacre. Les prêtres seraient morts, mais il estima que la moitié des hommes présents y passeraient, voir les trois quarts... Voyons, qui étaient présent au Temple cette nuit-là ? Hum... Bérenger bien sûr, mais Zilmar ne s'en faisait pas pour lui. Après tout, si il avait vécu autant de temps dans les Bas-Fonds, c'était bien parce qu'il était prudent. Ensuite... Boris. Il était mal placé, et hormis son arbalette, il n'avait sans doutes qu'un coutelas sur lui. Dommage, il était mal-baré. Hormis eux, il n'y avait que quelques gros bras, présents au cas où un bourgeois ivre deviendrait génant. Hum... Bon, le bilan était plutôt bon au final. Très bien.

Sortie en direction de la Planque de Zilmar.

En provenance du Temple

Eryndel se tourna vers l'ouverture qui venait de la conduire dans les couloirs humides des égouts. La silhouette de Turmac s'y profila.
Frère Turmac, corrigea-t-elle en elle-même.
Autour d'elle s'étendait le réseau complexe sur laquelle Paris était construite. Retrouver la trace du vampire ne serait pas une tâche aisée. Elle était plutôt douée pour suivre une piste et repérerles indices de tout passage récent, maisà condition d'avoir de la lumière.

"Frère Turmac ! Pourriez-vous vous munir d'une torche avant de descendre, s'il vous plaît ?" appela-t-elle en direction de l'entrée qui donnait sur le Temple.

A nouveau, elle embrassa les environs du regard. Les ténèbres humides et presques hostiles la firent frissonner. Pourvu qu'ils trouvent rapidement la trace du fuyard...
Mais que faisait Turmac ? Il fallait faire vite ! Enfin, des lueurs mouvantes vinrent repousser les ombres qui l'environnaient.

Ainsi éclairée, Eryndel put constater, dans la fine couche de boue qui recouvrait le sol glissant, quelques empreintes.
Accompagnée de Turmac, elle se mit à les suivre en chasant de son esprit toute autre préoccupation. Les traces conduisaient à un couloir inondé et disparaissaient dans l'eau. La jeune femme se renfrogna. Tant que le couloir se poursuivrait tout droit, cela ne poserait aucun problème, mais à la prochaine intersection de ce dédale... Elle pensait que le vampire était trop intelligent pour laisser des marques de repérage sur le chemin menant du Temple à sa planque. Elle avança avec circonspection dans l'eau.
Plus ils avançaient, plus Eryndel se sentait mal à l'aise. Elle détestait les couloirs interminables.
Bientôt, un croisement se présenta à eux. Elle s'arrêta net, indécise quant à la direction à suivre.

En désespoir de cause, elle se tourna vers son compagnon :
"Frère Turmac, je ne parviens pas à déterminer de quel côté..."
Elle s'interrompit brusquement. Un courant d'air imperceptible venait de la droite.
"Attendez, dit-elle. Je crois que le couloir de droite mène à l'extérieur. Mais cela ne nous dit pas si le mercenaire est sorti au plus proche ou s'il a continué à arpenter les égouts pour brouiller la piste. Aidez-moi, Frère, je vous en prie."

Aidez-moi, mon Dieu ! pria-t-elle mentalement. Si Turmac et elle parvenaient à trouver leur chemin en ce dédale, elle retournerait à la chapelle où elle avait prié quelques heures plus tôt, elle allumerait un cierge et dirait un chapelet.

- Je suis vos intuitions ma soeur. A en croire ce cher vampire de Zilmar, je ne suis pas digne de recevoir une quelconque aide divine de par mon comportement.

Avant qu'Eryndel ait pu dire quoi que ce soi, Turmac s'engouffra dans le couloir de droite et tira son épée... Quelque chose semblait bizarre, une odeur encore plus nauséabonde qu'à l'accoutumée venait de saisir le prêtre aux naseaux et manqua de le faire vomir. Les égouts de Paris n'étaient d'ailleurs pas reconnus pour être des plus salubres et des mieux fréquentés, mais cette odeur ajoutée au mauvais pressentiment qui accompagnait Turmac depuis qu'ils avaient pénétré dans le dédale souterrain lui donna le sentiment que si le chemin était le bon, quelque chose de néfaste les y attendait.

- Ma soeur, restez derrière moi s'il vous plait... J'ai l'impression que nous ne sommes pas aux bout de nos surprises.

Un hurlement assourdissant retentit alors, faisant vibrer les murs et chanceler la flamme de la torche que le moine-soldat tenait dans sa main gauche... Au bout de ce que la lumière vacillante pouvait éclairée, les deux prêtres virent alors apparaître une femme, les yeux exorbités, les vêtements en loque et les ongles complètement arrachés...
Si Dieu leur envoyait une épreuve, elle était de taille, cette goule semblait ne pas avoir été nourrie depuis plusieurs jours et lorsqu'elle sauta sur eux, Turmac n'eut pas le temps d'esquiver le coup que la créature démoniaque lui porta et fut projeté contre un mur au pied duquel il s'affala, sonné...

Frémissant d'horreur, Eryndel empoigna fermement son bâton, prête à défendre sa vie, et bondit en arrière pour se mettre hors de portée de la créature. Elle avait entendu parler des goules, mais elle ignorait que certaines pussent rôder sous Paris.
La créature était étrangement agile pour un mort-vivant.

La guérisseuse, recommandant son âme à Dieu, bloqua une attaque du monstre avec difficulté. Quelle force !songea-t-elle.Je n'aurai jamais cru cela possible...
Elle esquiva un second coup en faisant un pas de côté, et abattit son bâton de pèlerin sur le flan de la goule, qui poussa un gémissement déchirant : une petite fiole d'eau bénite accrochée à l'extrémité supérieure de l'arme venait de se briser en percutant ses côtes saillantes, brûlant les chairs putréfiées.
Rendue folle par la douleur, elle enchaîna les attaques contre la jeune prêtresse, qui ne put que parer en reculant sous son offensive rageuse.
Cependant, cela ne pouvait durer... Voyons, elle se rappelait que les goules étaient invulnérables aux armes des mortels, mais qu'elles haïssaient les lieux saints, et elle avait pu constater que l'eau bénite la blessait. Elle farfouilla d'une main dans sa sacoche et frémit : elle n'en avait plus sur elle... Elle para un nouveau coup, et glissa un coup d'oeil sur la forme prostrée de Turmac, pour constater avec soulagement qu'une fiole se trouvait à sa ceinture, à côté de sa bourse. Oui, mais comment l'atteindre ? La goule se trouvait entre eux, à présent...

RIsquant le tout pour le tout, elle fit mine de se déplacer vers la droite et, quand la goule lança ses mains griffues dans cette direction, Eryndel plongea à gauche et effectua une roulade qui la mena à côté de Turmac.
La goule secoua la tête : elle avait frappé dans le vide. Elle pivota lentement, et vit la guériseuse à côté de l'homme inconscient. Un râle affamé s'échappa de ses lèvres craquelée tandis qu'elle se mettait en mouvement pour attaquer encore.

La jeune femme dénoua fébrilement les liens de cuir qui maintenaient la fiole à la ceinture de son compagnon. Le coeur battant à tout rompre, elle la déboucha, en renversant quelques gouttes sur ses mains dans sa hâte, et arrosa d'eau bénite l'extrémité de son bâton.
Elle attendit, tenant la fiole d'une main, son arme de l'autre,que la goule soit plus proche, puis lui jeta ce qui restait dans le flacon au visage.

Nouveau gémissement de la goule aveuglée...

La créature s'arrêta net, désorientée. Eryndel en profita. Son arme s'enfonça violemment dans le coeur du monstre, qui, au contact de l'eau bénite, se mit à fumer. Cependant, la créature touchée à mort pouvait encore se mouvoir. La prêtresse ramassa la torche tombée à terre quand Turmac s'était effondré, et la jeta sur la goule.
Les hurlements de celle-ci, jointe à l'odeur de chairs brûlées, fit frémir la jeune femme. Elle tomba à genoux et pria pour le repos de cette âme torturée en tentant de couvrir ses cris de souffrance, les yeux fermés.
La goule, qui s'était mise à courir, disparut dans les couloirs obscurs des égouts, faisant détaler sur son passage les rats qui peuplaient les lieux. Ses hurlements s'éteignirent dans le lointain.

Tremblant encore, Eryndel s'approcha de son compagnon blessé pour l'examiner. Il semblait avoir quelques côtes contusionnées, mais rien de bien grave. Elle le réveilla donc en passant sous ses narines un flacon à l'odeur âcre. Quand il ouvrit les yeux, elle lui sourit.
"Tout va bien, Frère Turmac, dit-elle. Vous n'avez rien de cassé. Et la goule doit être morte, à l'heure qu'il est."

La torche ayant servi à brûler la goule, ils se trouvaient maintenant dans la pénombre, mais le silence de Turmac laissa supposer à la prêtresse que ses côtes contusionnées devaient le faire souffrir.
Le mieux était de suivre la direction d'où venait le courant d'air, de sortir de là au plus tôt et de rejoindre un lieu où ils pourraient se remettre de leurs émotions en toute sécurité. Ensuite seulement, ils reprendraient la recherche du vampire qu'ils voulaient engager. D'autant plus que le jour ne tarderait pas à se lever, et que la fatigue commençait à se faire sentir...

Direction : une chapelle dédiée à la Vierge.

1er juin 1455, en provenance d'une chapelle dédiée à la Vierge

Les égouts... Encore... la prêtresse, le moine et l'inquisiteur avançaient prudemment dans les couloirs fétides qui parcouraient le sous-sol de la capitale, sans prononcer une parole.
Au bout d'un certain temps, Eryndel s'arrêta brusquement et s'approcha du mur qu'elle examina attentivement, puis elle lança à ses compagnons :
"Regardez : j'ai rêvé de cela."
Un signe étrange était gravé dans la pierre.
"Je sais où nous sommes. Je sais où nous trouverons les goules."
Elle parlait sur un ton étrange, les yeux perdus dans un vague souvenir, comme si le cauchemar qu'elle avait fait se déroulait de nouveau sous ses yeux. Elle se remit à avancer, sans aucune hésitation cette fois, suivie de près par ses compagnons perplexes.

Plus ils avançaient, plus le pas de la guérisseuse se faisait assuré et déterminé. Bientôt, d'insolites lueurs mouvantes vinrent éclairer le couloir dans lequel ils venaient de bifurquer.

La jeune femme, qui marchait toujours en tête, fit signe aux deux autres de s'arrêter, sans s'inquiéter des possibles réactions de l'inquisiteur, et avança seule, prudemment... Ce qu'elle vit au bout du couloir la sidéra : le conduit débouchait sur une immense salle dont le sol était situé à une vingtaine de mètres en contrebas et dont le plafond se perdait dans l'obscurité. En bas, une multitude grouillait, une multitude de...
"Des goules !" laissa-t-elle échapper en un murmure."des centaines de goules !"

Que faire ? Désemparée, elle revint vers Turmac et Armand pour leur faire part de sa découverte.
"Je ne me trompais pas, chuchota-t-elle en les observant avec inquiétude. Mais entre le fait d'entrevoir une telle hypothèse et celui de la voir se matérialiser sous ses propres yeux... Comment allons-nous nous en débarrasser ? Il y a tout une armée de ses monstres, là-dessous..."

1er juin 1455, dans les égouts.

Armand détestait le fait de se retrouver dans une situation où il n'avait aucun contrôle, où les éléments le dépassaient complètement. Il se sentait faible, impuissant et inutile... Alors l'inquisiteur se mit à réfléchir intensément davantage pour se sentir de son mal être que pour résoudre la situation efficacement :

« A ce que j'ai lu dans les textes du Vatican, consacré à la lutte des démons et des mort-vivants, les goules sont des créatures dépendantes. La plupart du temps une goule seule est une goule perdue qui est sujette à l'instabilité et à donc un comportement proche de celui d'un animale sauvage lorsqu'il se sent menacé. Mais pour réunir un si grand nombre de ces damnés c'est qu'il doit soit y avoir quelque chose qui les attire ou que quelqu'un les dirige.

Dans les deux cas, si l'on veut pouvoir lutter contre ces créatures, il va falloir s'en prendre à ce point central... Vous avez une idée de ce qui peut les forcer à se rassembler ainsi ? »

La voix tremblante de l'inquisiteur faisait transparaitre son malaise, non pas que ce soit de la peur, mais plutôt de la colère de ne pas être capable de maîtriser son sentiment soudain d'impuissance. Ses yeux scrutaient le visage de ses compagnons pour y trouver le moindre signe d'encouragement...

Eryndel réfléchit à la question d'Armand. Il n'avait pas tort... Pour le moment, il était impossible de s'en prendre aux goules. Elle se sentait ausi frustrée qu'il paraissait l'être, à en croire son expresssion furibonde.
"Larmesang" laissa-t-elle brusquement échapper, faisant sursauter ses compagnons."Dans mon rêve, celui qui dirigeait les goules, c'était Larmesang, le vampire que je pourchasse. Je sais, ce n'était qu'un rêve, mais... Ceux dont je me souviens au réveil reflètent toujours une vérité, aussi curieux que cela puisse paraître."

Elle se demanda quelle serait la réaction de l'Inquisiteur face à cet aveu. Faire des rêves vaguement prémonitoires et prétendre en faire était,après tout, très mal vu par l'Eglise, si bien qu'elle avait toujours dissimulé ce qu'elle venait de révéler, mue par une impulsion subite, au moine-soldat et à l'Inquisiteur.

1er juin 1455, dans les égouts.

Armand se retint aussi fort qu'il le put afin de ne pas saisir la Sœur par le col en lui hurlant dessus, pour lui demander quand est-ce qu'elle arrêterait de cacher des choses à ses compagnons de route. Voyant les yeux exorbités et les poings serrés de l'inquisiteur, qui luttait pour ne pas l'étriper, Eryndel n'osa plus bouger et fixait, la mine déconfite, l'inquisiteur hors de lui mais néanmoins silencieux.

S'attendant à ce qu'il explose de colère, Armand surpris les membres de son groupe en parvenant tout de même à reprendre un calme relatif :

« Ma Sœur je... Armand s'arrêta, l'index levé vers la femme, réfléchit puis fini par renoncer à ce qu'il allait dire, sans doute quelque chose de désagréable à l'égard de la sœur guérisseuse. Peut-être était-il enfin convaincu qu'Eryndel ne cesserai jamais de révéler en petite quantité les informations pourtant fortes utiles.

Avez-vous au moins vu dans votre rêve des symboles religieux ou quoi que ce soit qui puisse nous convaincre que ces rêves prémonitoires soient plutôt une aide de Dieu, qu'une tentative de ce Larmesang de manipuler la personne la plus faible mentalement du groupe ! Ah ça y est, il n'avait pas pu s'empêcher d'être désagréable...

Il paraît que certains vampires sont capables de manipuler les esprits faibles par la pensée, y avez-vous seulement réfléchi avant de nous entrainer bêtement dans la gueule du loup ? Vous semblez succomber si facilement à vos pulsions, vos passions et certainement à bien des formes de tentations aussi j'imagine, non ? Alors prouvez le nous en agissant comme un véritable chef qui pense plus qu'il n'agit. »

Armand se retenait de crier pour ne pas attirer l'attention des goules, mais nul doute que s'ils avaient été dehors la dispute aurait été bien plus violente.

Eryndel sentait la colère l'envahir. Non plus l'ennui, ni même la peur, mais bien la colère qu'elle ne ressentait que rarement.
Les yeux étincelant, la bouche serrée, le visage empourpré, elle avança sur l'Inquisiteur, l'air menaçant :
"Ecoute-moi bien, Frère inquisiteur borné. Je - ne - suis - pas - faible ! Tu n'as aucune idée des heures, des jours, des semaines, des mois que j'ai passés à renforcer mon esprit en vue d'un affrontement avec ce démon de Larmesang. Armand les Soupçonneux, tu ne peux même pas imaginer la rigueur de l'entraînement moral, mental, spirituel que j'ai reçu au couvent où je me suis suis retirée pour faire le deuil de ma famille et préparer leur vengeance.
J'ai appris à dissimuler mes pensées elles-mêmes derrière d'autres pensées... j'ai appris à vider mon esprit complètement..."
Elle reprit son souffle, les narines palpitantes, puis poursuivit :
"Oh, et pour ce qui est de réfléchir avant d'agir... Premièrement, ce n'est pas parce que je ne te fais nullement part de mes hésitations et de mes réflexions que je me lance tête baissée dans les ennuissans peser le pour et le contre. Le désir de vengeance ne m'aveugle pas.
Deuxièmement, qui allait tuer un homme en pleine foule parce qu'il me filait, au marché couvert, sans réfléchir aux conséquences d'un tel acte ? Qui s'énerve toujours avant de demander aux autres le pourquoi de leurs actes? Je te croyais plus réfléchi et moins aveugle que les autres inquisiteurs... Me serais-je trompée sur ton compte ?
Quant à la fiabilité de mon rêve... Ce n'est pas la première fois que le Ciel m'en envoie... Et cela date de bien avant que Larmesang n'apparaisse pour tuer les miens !"
Elle se détourna pour cacher les larmes qui lui montaient aux yeux ; la suspicion de l'inquisiteur la blessait profondément. Ne lui ferait-on jamais confiance ? Pourquoi, toute sa vie durant, lui fallait-il se justifier et subir les soupçons des autres ?, et après un dernier regard en direction de l'estrémité du couloir, elle marmonna :
"Rentrons. Il est inutile de rester ici plus longtemps. Nous n'avons ppas assez d'huile et de torches pour nous débarrasser de toute cette vermine."

1er juin 1455, dans les égouts.

L'espace d'un instant Armand s'en voulut d'avoir fondu ainsi sur la Sœur en l'insultant d'esprit faible et il reconnaissait qu'à certains moments il pouvait s'énerver avant de laisser la personne concerné de se justifier. Hélas ce comportement lui avait valut plus d'une fois de démasquer des hérétiques, se sentant acculé face à une force impressionnante ils avouaient plus volontiers leurs pêchés.

Il était vexé et la marche rapide, les poings serrés de la guérisseuse l'enfonçait dans son mal être. Lorsqu'ils sortirent des égouts l'inquisiteur explosa :

« Je suis désolé ! Ça vous va ? C'est vrai j'ai eu tord de m'emporter ainsi et de vous insulter alors que je ne sais rien de vous, mais ça n'est pas faute d'avoir essayé de vous faire comprendre que j'avais besoin d'explications. Vous semblez garder tellement de chose en vous que j'ai constamment la sensation de me trouver face à une parfaite étrangère, malheureusement pour vous je suis un inquisiteur et ma profession m'oblige à me méfier de tout le monde.

Quant à l'homme qui vous filait au marché je n'allais pas le tuer, combien de fois devrai-je vous répéter que je ne suis pas un fanatique religieux qui tue impunément au nom de Dieu ! Personne de ne peut dire ce qu'il allait vous faire. Si j'ai rendu mon jugement en public c'est parce que la justice de Dieu n'a pas à se cacher des yeux de ses fidèles et que cela permet à tous de se rappeler que des hommes agissent pour les préserver des influences du Malin !

Alors vous pouvez m'en vouloir et continuer à me faire la tête, je reconnais mes fautes et vous en demande pardon, mais si je fais des efforts pour vous comprendre, aussi maladroitement cela soit-il, faites en vous aussi pour m'aider et que ces disputes récurrentes cessent enfin ! »

Eryndel se retourna finalement vers lui, et dit d'une voix douce :
"Je vous ai déjà pardonné, Frère Armand. J'ai bien compris que vos propos n'étaient dictés que par la colère et l'incompréhension. Pardon de m'être emportée pour les doutes que vous avez émis."
Sa voix se brisa quand,malgré elle, elle laissa échapper sa détresse :
"Après tout, si vous m'avez soupçonné, au moins, vous ne m'avez pas attaquée sans chercher à me comprendre et à voir au-delà des faits apparents, contrairement aux populations superstitieuses de certains villages..."
Elle s'interrompit, honteuse de s'être laissée aller à l'amertume. Certes, on l'avait parfois accusée de sorcellerie par jalousie, parce qu'elle était une guérisseuse trop efficace au goût de ses collègues... certes elle avait dû fuir à plusieurs reprises des populations enragées suite à des médisances... Mais c'était du passé, et il lui fallait aller de l'avant. Ressasser sa douleur ne la mènerait nulle part.

"Oubliez ce que j'ai dit," murmura-t-elle. Rentrons à la chapelle.

Direction : [Paris] Une rue déserte dans les environs de la chapelle

4 juin 1455, dans les égouts de Paris.

La nuit était tombée sur Paris, Armand ne cessait de passer sa main dans sa chevelure blonde. Ce détail lui paraissait particulièrement incongrue vu la situation, mais il avait bien du mal à dire si c'était Eryndel ou bien lui qui était le plus intrigué par ce détail capillaire. Au moins il avait son petit effet, la jeune femme avait bien du mal à détacher le regard de ce nouveau Armand. Quelque part l'ancien inquisiteur commençait à lui manquer, il était sans cesse en train de la contester, mais au moins il était prévisible, tandis que maintenant elle ne savait plus à quoi s'attendre avec le messager de Dieu.

Ils soulevèrent une lourde plaque au centre d'une rue non fréquenté, des prêtres descendant dans les égouts avait toujours un effet assez étranges pour les passants. Le réseau sous terrain puait les eaux usagées et bien des odeurs dont il fallait mieux ignorer l'origine. L'inquisiteur alluma la lanterne :

« Bien, comment comptez-vous faire pour attirer une goule sans alarmer les autres ? Quoi qui a-t-il encore une fois ? Deux yeux rouges brillaient derrière son compagnon, Eryndel saisit son bâton, Armand se retourna brusquement ayant compris ce qu'il y avait, la goule vociféra toute bave dégoulinante juste à temps pour que le chasseur d'hérétique brise la lanterne à bougie sur la figure du monstre autrefois humain. »

Inutile de préciser qu'une grande inquiétude grandit dans le cœur des deux prêtres quand il réalisèrent qu'une goule était à côté d'eux et qu'il n'y avait plus de lumière.

4 juin 1455, en provenance de la chapelle de la Vierge

Décidément, pas un instant de répit ne s'offrait à eux.
"Surtout, n'oublions pas notre objectif principal", lança-t-elle sans se soucier d'être entendue par la goule.
Si elle pouvait l'attirer dans sa direction...
Il fallait pouvoir l'attraper, la maîtriser le temps de lui prélever du sang, et ajouter celui-ci au remède concocté avant de le tester sur la créature. Un bruit sur sa gauche la poussa instinctivement à se baisser. Bien lui en prit : la prêtresse sentit un souffle d'air passer au-dessus d'elle comme la goule privée de raison frappait en direction de l'emplacement où se trouvait sa tête une seconde auparavant. Toujours instinctivement, dans le même mouvement, la jeune femme flanqua un coup de pied là où elle pensait que se trouvait la créature enragée. Elle adressa une action de grâce silencieuse à Dieu quand son adversaire lâcha un grognement de douleur. Elle détestait se battre, mais quand elle s'y mettait avec détermination, la guérisseuse n'était pas facile à abattre.

4 juin 1455, dans les égouts de Paris.

Plongé dans le noir, Amrand ne pouvait qu'entendre, les pas de la goule autour de lui, les grognements pré de son oreille et la bave goutter sur les pierres de l'égout. Il ressentait toute la peur qui animait le cœur d'Eryndel si bien qu'il se demandait comment pouvait-elle rester là sans prendre ses jambes à son cou, voir même de frapper l'odieuse créature.

Soudain il réalisa une chose, s'il pouvait ressentir les émotions de la jeune femme qui était à côté de lui, il devait être capable de partager ceux du mort-vivant. Il ferma les yeux et tenta de se concentrer du mieux qu'il le pouvait malgré la terreur qui lui tenaillait l'estomac. Et depuis quant avait-il peur des ennemis de Dieu, lui l'ancien inquisiteur craint par tous ? Reprenant son courage et faisant abstraction des sentiments qui émanaient de la guérisseuse, il fit le moins de bruit possible et tenta de sentir la goule.

C'est alors qu'une vive rage sauvage l'envahit, excédait par cette terrible émotion, il se mit à hurler d'une colère qui fit sursauter Eryndel. La goule courut immédiatement vers le messager de Dieu qui,en entendant les pas se rapprocher à toute allure de lui frappa de son poing l'origine sonore. Le monstre prit le coup en pleine face et chuta au sol, sous la force décuplée par la haine de l'inquisiteur. Armand se jeta sur son assaillant et prit sa tête entre ses mains, il fut alors en pleine symbiose avec le déferlement effréné des émotions de la goule. Elle n'était que rage, tristesse ou encore amertume, puis il se mit à lui crier :

« Ressens-tu cette rage ? C'est ce qui anime ton cœur mort ! Et pourtant je n'arrive pas à t'en vouloir mon fils... ».

une incroyable tristesse prit Armand par la gorge, voir un enfant de Dieu dans une telle situation l'émut, et il partagea ce fardeau avec le mort-vivant qui se mit à son tour à sangloter :

« Tout ira bien mon fils je te le promet, nous allons trouver un remède à ton mal... »

Tant qu'Armand maintiendrai un contact physique avec le mort-vivant, Eryndel pourrait faire son prélèvement de sang.

Si la jeune femme n'avait rien pu voir de la scène, elle en avait deviné la nature grâce à ce qu'elle avait entendu. Ce dirigeant à tâtons dans la direction d'où venait la voix d'Armand, elle s'agenouilla à ses côtés quand elle perçut son souffle et les pleurs de la goule. Avec douceur, elle demanda à cette dernière :
"Pauvre créature arrachée de force au chemin de Dieu, désifres-tu être guérie ?"
La réponse fut longue à venir, entrecoupée par les sanglots incessants :
"O...Ou... ou... i..."

Eryndel sortit alors un flacon et trancha la chair morte pour recueillir quelques gouttes de sang. Toujours à tâtons, elle ouvrit la boîte d'onguent et en préleva une pincée de poudre qu'elle mélangea au sang. Elle secoua la fiole, sortit un tube qu'elle planta dans la blessure de la goule malgré ses cris, y injecta le remède, et attendit...

Le sang mêlé d'onguent envoyé dans les veines de la goule fit son effet : la créature poussa un cri de souffrance terrible. Tout son corps s'arc-bouta sous l'effet de la douleur, puis tressauta, puis s'immobilisa.
La créature était-elle morte ? Non. En tendant l'oreille, on pouvait percevoir une respiration légère, régulière. Une voix étonnée, qui n'était plus déformée par la rage ou la souffrance, se fit entendre :
"Je ne souffre plus ? Il fait si sombre, je ne vois rien... Que m'arrive-t-il ?"

Eryndel poussa un cri de joie :
"Ça a marché ! VOus n'êtes plus une créature de la nuit errant entre vie et mort : vous êtes guéri, vous êtes de nouveau humain !"

4 juin 1455, dans les égouts de Paris.

Armand relâcha son emprise et ils remontèrent tous les trois à la surface, sous les lueurs bienveillantes de l'astre nocturne. La goule portait encore les séquelles de sa non vie, le crâne chauve, le corps famélique, mais déjà des couleurs ramenaient son visage à un peu plus d'humanité :

« Votre potion fonctionne ma soeur, il ne nous reste plus qu'à la tester sur Larmesang... Mais pour cela faudrait-il encore savoir où il se cache. Si seulement Zilmar pouvait refaire surface. »

"Très juste, mon frère, acquiesça-t-elle. Peut-être devrions-nous nous mettre à sa recherche ? Une fois que nous aurons fourni un abri et des vêtements neufs à cet homme, séparons-nous et interrogeons la population sur un homme répondant à son signalement. Pour ma part, je pense retourner à son quartier général pour voir s'il n'y serait pas retourné. Qu'en pensez-vous ?"

En fait, la jeune femme était soucieuse quant à la disparition de Zilmar. Elle espérait qu'il ne lui était rien arrivé de fâcheux. Sachant qu'on avait tenté de les rayer de la surface du monde, elle se demanda si le vampire n'était pas tombé dans un traquenar, lui aussi. Eryndel ne pouvait s'empêcher d'avoir un mauvais pressentiment.

4 juin 1455, dans les égouts de Paris.

« Je pense que seul son homme de main le plus fidèle peut savoir où il se trouve et je crains qu'il soir inutile de faire des recherches dans la ville. Zilmar est à mon avis le genre de personne à être un mythe aux yeux du simple badaud. Il vaudrait mieux aller à son repaire à deux, cela nous évitera de perdre du temps. »

La jeune femme regarda longuement son compagnon d'aventure tout en réfléchissant. Elle hésitait, à vrai dire, à l'amener là-bas. Elle ne pouvait s'empêcher de ressentir quelque appréhension quant à la réaction de frère Armand à la vue de ce lieu de débauche. Il était certain qu'avant sa métamorphose spirituelle, l'Inquisiteur aurait foncé tête baissée, arme dégainée, pour prêter main-forte à la Faucheuse. Aujourd'hui, qu'en serait-il ? Resterait-il indifférent à toute noirceur ? Saurait-il rester maître de ses émotions, quelles qu'elles fussent ?
Armand était désormais doué d'empathie... Cela ne signifiait pas qu'il saurait conservr son sang-froid, car il souffrirait autant que ceux dont ils ressentirait la souffrance, sinon plus : car les mauvaises pensées de certains des hommes de Zilmar le blesseraient également...
Certes, mais il était doté d'une volonté de fer, il l'avait prouvé bien assez souvent. Eryndel décida de lui faire confiance. Elle n'avait pas le droit de douter de lui. Le fait d'avoir eu, l'espace d'un instant, de la défiance la rendit honteuse. Elle répondit en souriant avec douceur, pour dissimuler son trouble :

"Vous avez raison, Frère. J'aurais dû y songer moi-même. Venez, nous nous rendons au Temple. Certains des hommes de Zilmar Hem Rarko doivent s'y trouver."

Dans le ciel, le soleil se levait sur un nouveau jour.

5 juin 1455, direction le Temple

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