[Paris] Marché couvert

En provenance d'une chapelle dédiée à la Vierge

L'animation qui régnait sur le marché couvert libéra Eryndel de toutes les tensions qui l'habitaient jusque-là et dont elle n'avaient pas eu conscience jusqu'à ce moment précis. La vie simple et heureuse de ces marchands, tisserands, joaillers, baladins et autres braves gens qui se croisaient en ce lieu lui parut un instant comme la plus enviable du monde. Tant de liberté, si peu de préoccupations en comparaison de celles d'une guérisseuse qui voyait habituellement toutes les misères, toutes les maladies du monde...
Parcourir les allées bordées d'étals et de trétaux lui permettait de partager un peu de cette existence paisible à laquelle elle aspirait. Tout en marchant, elle se demanda s'il ne vaudrait pas mieux abandonner cette stupide histoire de vengeance et cette absurde quête d'un remède au vampirisme, puis elle chassa ces doutes et renforça sa détermination : pour protéger cette vie innocente, pour que cette population puisse toujours baigner dans le bonheur, il fallait qu'elle parvienne à ses fins.

Elle repéra enfin l'étal odoriférant de la botaniste. Tandis qu'elle examinait les simples qui y étaient exposées, la marchande l'observait avec attention. Soudain, cette dernière adressa la parole à la jeune femme.
"Excusez-moi, ma soeur... N'êtes-vous pas la guérisseuse Eryndel ?"
Etonnée, la prêtresse releva la tête et plongea son regard vert dans les yeux gris et bienveillants de la femme rondelette.
"Heu, oui... Pourquoi ? Je vous connais ?
- Oh, non, mais vous connaissez ma soeur. Vous l'avez guérie de la lèpre, en Champagne, alors que tout le monde l'avait abandonnée, prétendant que sn cas était désespéré... Et en échange, elle avait fait le serment de vous trouver des herbes rares pour mettre au point un remède... très particulier."

Une lueur d'inquiétude passa dans les yeux d'Eryndel. Cette femme savait-elle...? Sa soeur aurait-elle trahi le secret ?

"Ma soeur et moi n'avons pas de secrets l'une pour l'autre, poursuivait la botaniste. C'est pourquoi je suis au courant de la nature du remède que vous cherchez à créer, et... Oh, ma soeur, c'est une idée merveilleuse ! Dieu a dû vous l'inspirer. Vous rendez-vous compte du nombre d'âmes que vous sauveriez de l'enfer ?
- Hé bien...
- Quoi qu'il en soit, elle avait trouvé quelque chose pour vous, mais voilà-t-y pas qu'elle apprend que vous avez dû quitter Provins. Alors,comme j'égtais de passage là-bas, elle m'a conté tout cela, comment vous l'avez guérie, comment elle a juré de vous aider, elle vous a décrite au mieux, et elle m'a demandé, si jamais je croisais votre route, de vous remettre ceci."
La botaniste passa par dessus sa tête joviale un cordon auquel pendait une bourse de cuir soigneusement fermée. Curieuse, la jeune fille l'ouvrit : elle contenait une fine poudre qui ressemblait à...
"Fusarium Oxysporum. Ma soeur, faites attention à ne pas en respirer : ce champignon est toxique pour l'être humain. Mais... il a été utilisé efficacement contre des plantes vampires qui s'attaquent aux champs. Il nous vient d'un pays lointain. Je ne crois pas que vous en trouverez ailleurs, alors prenez-en grand soin, ne le gaspillez pas.
- Merci. Je crains que ça ne tue les vampires au lieu de les guérir, mais... Merci à vous. peut-être qu'à très faible dose..."
Elle n'acheva pas, plongée dans ses pensées une fois encore. Elle referma distraitement la bourse et la passa autour de son cou, puis paya l'herboriste pour les simples qu'elle avait choisies.
"Si vous avez besoin de quoi que ce soit d'autre... Je suis ici pour un bon moment, alors n'hésitez pas !
- Merci. Je ne manquerai pas de revenir vous voir, si nécessaire. Bonne journée."

Elle s'éloigna un peu, pensive.

Roland grava chacun des mots de la conversation dans sa mémoire puis se remit à suivre la prêtresse, assez loin d'elle pour qu'elle ne se rende compte de rien, mais suffisament prêt pour ne pas la perdre parmi la foule.

Roland ne comprenait pas pourquoi Zilmar avait tenu à ce qu'il la suive jour et nuit où qu'elle aille... Après tout, le plus dangereux du lot était cet Armand, l'inquisiteur plus que dangereux et légèrement fou. C'est lui qu'il aurait fallu espionner selon Roland, et non pas cette prêtresse idéaliste et d'une naïveté sans borne. Quant à cet autre prêtre, Turmac, Roland ne savait pas quoi en penser... Il ne savait rien de lui. Il faudrait y remedier vite, cela pourrait s'avérer dangereux d'ignorer les pensées et les motivations de cet homme.

Bah ! Il pourrait toujours demander au père Thomas de le renseigner à ce sujet, il saurrait sans doute quelque chose.

Roland continuait de suivre la prêtresse, doutant toujours du bien-fondé de cette mission.

31 mai 1455, dans un marché couvert.

Armand avait faillit perdre de vue la Sœur à plusieurs reprises, mais il avait fini par l'apercevoir entrant dans un marché couvert.

« Ah quelle poisse ! La retrouver au milieu de cette foule ne sera pas une mince affaire. »

Il ouvrit les portes de l'immense hall. L'inquisiteur avait horreur de ce genre d'endroit. Plein de monde, qui se frottent sans cesse les uns aux autres. L'idée de ces contacts physiques fit grimacer le visage ravagé de l'inquisiteur.

Il commença ses recherches parmi les étalages des petits commerçants et les clients en quête de bons produits. Partout où l'homme de foi posait les yeux, les gens rabaissaient la tête pour éviter de croiser le regard inquiétant du représentant du pape. Derrière lui les gens du peuple chuchotaient avec maladresse portant leur propos jusqu'aux oreilles d'Armand :

« Mais que fait un inquisiteur dans Paris ?
- Vous n'savez pas ma pauv' Lucette ? On raconte qu'il y a des hérétiques ici même.
- Il est certainement ici pour enquêter sur les meurtres des prostitués.
- Mais non c'est juste un de ces gros bonnets qui n'a rien de mieux à faire que de venir ennuyer les paysans incrédules avec des histoires d'hérésie abracadabrantes. »

Tous ces propos agaçaient l'inquisiteur, de par leur stupidité mais également de par l'ampleur de la tâche que cela impliquait. Remettre tous ces ignorants dans le droit chemin aurait nécessité plus d'une vie pour Armand Darrat.

Le juge de la religion s'arrêta net. Ca y est, il venait de repérer Eryndel, discutant avec une vieille herboriste. Il commença à se rapprocher d'elle quand il aperçu a à peine quelques mètres de la guérisseuse le faux prêtre de la chapelle. La colère gronda dans le coeur de l'inquisiteur qui se mit à hurler en direction de l'homme, le pointant du doigt.

« Ne bouge plus hérétique ! Et rends toi à la justice de Dieu sans résister. N'aggrave pas ton cas mon enfant et avoue tes fautes devant Dieu et ses fidèles ici présent. » Armand se rapprochait de Roland marteau en main.

La foule cessa ses activités et un silence se répandit dans le marché. Une centaines d'yeux regardaient la scène avec frayeur. Seul Eryndel pesta contre l'inquisiteur qui recommençait à faire des siennes

Roland venait de se faire repérer...

Très contrariée, Eryndel jaugea la situation d'un bref coup d'oeil. Le faux prêtre... Zilmar la faisait suivre ? Elle n'était pourtant pas la plus à craindre dans le groupe. Il ferait mieux de surveiller l'inquisiteur...

Elle devait faire diversion.
Se précipitant vers Armand comme si elle n'avait rien remarqué, elle lui dit :
"Mais que faites-vous là ? Vous devriez être à la chapelle, en train de veiller sur le prêtre et Turmac ! Et si une autre goule survenait là-bas ?"

Sans lui laisser le temps de se reprendre, elle le prit par le bras et l'entraîna loin de l'espion.

"Tant que j'y suis, inquisiteur, avez-vous la possibilité de vous procurer des armes bénites ? En tant que simple guérisseuse, je n'en ai pas, et gaspiller mes fioles d'eau bénite pour en arroser mon bâton à chaque combat contre les goules, c'est loin d'être pratique. Allez donc m'en chercher, voulez-vous ? Et pas au marché couvert, je sais qu'il n'y en a pas."

Pourvu que ça marche. Elle le regardait avec la plus grande candeur du monde, en priant pour qu'il ne fasse pas demi-tour.

Roland se retourna quand il entendit le hurlement.
Il vit l'inquisiteur, marteau de guerre à la main, en train de charger dans sa direction. La lueur de rage sanguinaire qui brillait dans ses yeux tétanisa Roland. Il fut submergé par une déferlante de terreur.

Avant qu'il n'ait pu se ressaisir et prendre ses jambes à son cou, la prêtresse s'interposa entre lui et la bête féroce qu'était devenu Armand. Pendant qu'elle tentait de faire diversion, Roland en profita pour fuir. Jamais plus il ne s'approcherait de lui, jamais plus. Il demanderait à Zilmar de lui confier d'autres missions. Quelqu'un d'autre, dont le visage serait inconnu de ces deux-là, les surveillerait à sa place.

En jetant un bref regard en arrière, Eryndel vit que l'autre avait fui. Tant mieux pour lui. Et pourvu que l'inquisiteur ne lui fasse pas des histoires parce qu'elle s'était mise entre sa proie et lui...

31 mai 1455, dans un marché couvert.

Armand était sidéré de ce que venait de faire la Soeur, encore sous l'excitation de la colère qui l'avait submergé, il se dégagea du contact d'Eryndel, prit la guérisseuse par le col et se mit à la secouer vivement tout en lui hurlant dessus :

« NE ME TOUCHEZ PAS ! ET QU'EST-CE QUI VOUS PREND ?! CET HERETIQUE VOUS SUIVAIT ! ET VOUS AVEZ LE CULOT DE ME PRENDRE POUR UN CRETIN !!! »

Armand se retourna vers Roland qui avait profité de cette diversion pour prendre la fuite. L'inquisiteur foudroya du regard la Soeur, il s'approcha de la femme et la saisit à deux main par le vêtement, la scène se déroulant toujours sur le marché devant la foule perplexe face à ce à quoi elle assistait :

« Maintenant vous allez me dire ce qui se passe, EST-CE QUE C'EST CLAIR ?! Si vous ne voulez pas finir vos vieux jours enfermée dans un couvent à supplier le pardon de Dieu, VOUS ALLEZ CESSER DE VOUS FOUTRE DE MOI ! ».

Armand était hors de lui, Eryndel en entravant le jugement d'un inquisiteur s'était rendue complice du criminel. Si Armand prenait encore la peine de parler avec elle, c'était uniquement parce qu'elle lui avait sauvé la vie quelques minutes auparavant.

Eryndel sourit avec douceur, nullement touchée par la colère de l'Inquisiteur. En même temps, elle s'étonnait de son propre détachement. Peut-être était-il dû au sentiment d'avoir bien agi ?

"Frère Armand, voyons. Se laisser submerger par la colère frise le péché : il faut que vous soyiez maître de vos sentiments. Pardon d'avoir agi ainsi, si vous pensez que c'est mal. Mais je crois avoir bien agi : cet homme n'était peut-être pas seul ; il faisait peut-être exprès de ne pas être plus discret pour nous entraîner dans un piège, et alors vous vous seriez jeté dans la gueule du loup."

Cela, elle le pensait sérieusement, ne pouvant croire que Zilmar eût eu assez peu de jugeote pour la faire suivre par quelqu'un dont ils connaissaient le visage.

"Encore une chose, inquisiteur : je refuse de répondre à vos questions maintenant, quand bien même m'enfermeriez dans un couvent - à vrai dire, cela m'arrangerait, de vivre paisiblement selon les règles d'une maison de Dieu au lieu de courir le pays au risque de rencontrer des fous furieux et des monstres diaboliques. Je refuse parce que ce sont des informations confidentielles et que -au cas où vous ne l'auriez pas remarqué - nous sommes en plein milieu d'une foule et tout le monde nous écoute."

Alors, comment vas-tu répondre à cela ? pensa-t-elle.

31 mai 1455, dans un marché couvert.

Armand ne savait plus quoi dire à cette femme, il la lâcha et prit quelques secondes pour se calmer. Elle avait le culot de lui sourire et de lui répondre. Il avait déjà était confronté à ce genre de personnalité et savait très bien que discuter avec était inutile, elles avaient le don de tout détourner à leur avantage. Armand fini par la regarder et lui adresser un sourire amer :

« Bien, puisque visiblement vous avez vos petits secrets et que vous ne voulez pas m'en parler, je ne vois pas pourquoi je m'évertuerai à vous sauver la vie des divers pièges et espions qui vous guettent. Manifestement vous êtes trop maligne pour vous faire avoir. Quant à vos armes bénies, j'imagine que vous êtes également plus douée que moi pour les dénicher vous même... Toute seule. Je retourne dans la chapelle pour me reposer et vous souhaite de passer une bonne soirée. »

Sur ces mots Armand tourna les talons et sortit du marché.

Direction : une chapelle dédiée à la vierge.

Eryndel laissa échapper un léger soupir de soulagement en voyant Armand s'éloigner. Un instant,elle avaitcraint qu'il ne la prenne au mot et ne la fasse réellement enfermer dans un couvent. Certes, elle y trouverait le repos auquel elle aspirait mais... l'aventure lui manquerait malgré tout.
Les badauds, voyant que le spectacle était terminé, retournaient à leurs occupations.
Elle aurait pu se mettre à la poursuite de l'Inquisiteur, lui demander de rester, s'excuser de sa conduite... Cela l'aurait sûrement flatté et aurait calmé son courroux... Mais il était hors de question qu'elle lui laisse le sentiment d'avoir pu la faire changer d'avis.

Elle se tourna vers un étal de provisions : ils en auraeint grand besoin si, comme elle le pressentait, il fallait par la suite voyager pour trouver le vampire qu'elle voulait tuer.
Après avoir achevé ses emplettes, elle décida de retourner à la chapelle. Au milieu de la foule, elle ne risquait rien... Mais s'attarder après le départ des derniers passants serait de la folie.
Et elle ne voulait pas que l'inquisiteur ait l'occasion de dire qu'il avait eu raison.

Elle sourit encore en pensant à la scène qui s'était produite juste avant, puis songea qu'il lui faudrait peut-être le mettre au courant un plus sérieusement qu'elle ne l'avait fait... Tout en cachant toujours que Zilmar était un vampire.

Direction : une chapelle dédiée à la vierge

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